Après avoir suspendu de diffusion RFI en décembre dernier, puis France 24 fin mars suite à la programmation d’une interview très controversée du chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), un des groupes armés terroristes les plus violents au Sahel, le Burkina Faso a expulsé ce weekend les correspondantes du Monde et de Libération dans le pays. Une décision fustigée en France, soutenue en Afrique.
« En ouvrant ses antennes au premier responsable d’AQMI, France 24 ne fait pas seulement office d’agence de communication pour ces terroristes, pire il offre un espace de légitimation des actions terroristes et des discours de haine véhiculés pour assouvir les visées maléfiques de cette organisation sur le Burkina Faso », avait expliqué le porte-parole du gouvernement burkinabè, Jean Emmanuel Ouédraogo, à l’appui de la décision du Burkina de suspendre la diffusion de France 24 le 27 mars dernier, après avoir fait de même avec RFI trois mois plus tôt.
Aussitôt, l’ensemble des médias hexagonaux, dans un réflexe aussi pavlovien que corporatiste, ont dénoncé qui une « insupportable atteinte à la liberté d’expression », qui une « entrave à la liberté d’information ».
Deux poids, deux mesures
Mais en Afrique, le point de vue est sensiblement différent. « Quand la France décide de suspendre de diffusion sur son territoire Russia Today, tous les médias du pays trouvent ça normal. Mais un pays africain qui prend la même décision, qui plus est pour des motifs de sécurité intérieure, il n’en aurait pas le droit. Il ne serait pas fondé, pas légitime à le faire », souligne l’une des journalistes du Wal Fadjiri, un journal sénégalais. « C’est un deux poids deux mesures qui ne dit pas son nom ».
Pour cet universitaire béninois, professeur en communication, qui a soutenu sa thèse en France, cette attitude s’explique par des raisons structurelles. « Les médias français en général, pas seulement les médias publics, partagent tous peu ou prou, à de rares exceptions près, la même idéologie. Beaucoup de journalistes français ne cachent pas leur sympathie pour la gauche, singulièrement la gauche radicale », explique l’universitaire, qui rappelle qu’un sondage fait en 2012 avait montré que « 92 % des journalistes français avaient voté pour François Hollande à l’élection présidentielle. En 2022, ils étaient sensiblement dans la même proportion à le faire au premier tour pour Jean-Luc Mélenchon ».
« En Afrique », poursuit-il, « cela se traduit par la persistance d’une forme de tiers-mondisme. Beaucoup de journalistes français perçoivent l’Afrique à travers un prisme misérabiliste et l’analysent à travers la théorie bourdieusienne des ‘rapports de domination’ qui stipule notamment que les gouvernants asservissent les populations. D’où le parti pris quasi-systématique des journalistes (français) en faveur des oppositions, quelles qu’elles soient, quand bien même celle-ci ne sont pas toujours recommandables ». « C’est ainsi », conclut-il, « que certains en viennent, sans se poser de cas de conscience, à ouvrir leur média à un chef terroriste, » certain lui aussi, à l’instar du journaliste sénégalais, que « si la même chose avait été faite en France, le média en question aurait été immédiatement suspendu. »
L’exemple paroxystique du Gabon
Mais il n’y a pas qu’en Afrique de l’Ouest que la couverture de l’actualité par les médias français fait grincer des dents, c’est également le cas en Afrique centrale. « En réalité, le problème est le même dans toute l’Afrique francophone », souligne un journaliste du Messager, un grand journal camerounais qui met en exergue l’attitude très différente entre les médias français et anglosaxons. « Les journaux anglophones sont plus neutres, plus objectifs, plus nuancés. Ils donnent la parole à toutes les parties dans des proportions équivalentes. Et ils s’intéressent autant, sinon plus, au sujet de fond, que ce soit en économie ou en matière d’environnement ou de relations internationales, qu’aux questions de politique politicienne qui obnubilent les médias français », constate cette grande plume, aussi expérimentée que respectée.
En Afrique, le Gabon figure parmi les quelques pays à offrir un exemple paroxystique des travers des médias français. C’est la conviction, éclairée et argumentée, de ce journaliste de L’Union, le plus grand quotidien gabonais. « Dans notre pays, le parti pris des médias hexagonaux en faveur de l’opposition contre ce qu’ils appellent ‘le pouvoir’ est flagrant. Cela se mesure aussi bien en quantité, c’est à dire au nombre d’articles produits ou de reportages réalisés, qu’en qualité, c’est-à-dire, dans le contenu article par article, reportage par reportage », fait-il observer. C’est le cas en particulier de RFI. Une analyse mensuelle des reportages réalisés par la radio française montre une disproportion flagrante en faveur d’un camp politique (l’opposition)
Analyses hors-sol
Il ne faut pas remonter bien loin dans le temps pour trouver un exemple de parti pris dans un journal français. Pas plus tard qu’avant-hier, ce lundi 3 avril, Le Point a publié une « analyse » au titre péremptoire : « Gabon : à quelques mois des élections, un climat politique tendu », qui a fait réagir le microcosme journalistique local, le seul à la lire. « L’article est bien écrit sur la forme. Mais sur le fond, il est très éloigné de la réalité car il est à la fois partiel et partial. En fait, c’est très idéologique (…) Nous qui vivons dans le pays et en connaissons les subtilités mesurons combien le propos est hors-sol. » Et celui-ci d’ajouter : « le journalisme, comme l’a indiqué le grand Pierre Lazareff (grand patron de presse, fondateur entre autres de France Soir, NDLR), c’est le point et le contrepoint. Or, dans cet article, seul le point de vue d’un camp est reflété », observe ce journaliste connu pour sa rigueur. « On est plus dans le cadre de l’opinion que de l’information », insiste-t-il.
Manifestement, il n’y a pas qu’en Afrique francophone que les journalistes hexagonaux sont critiqués pour leur couverture baisée de l’actualité. Selon un sondage annuel élaboré par le très respecté Centre de recherches sur la vie politique française (Cevipof) rattaché à Sciences Po Paris, les journalistes sont la profession la moins aimée (pour ne pas dire la plus détestée) par les Français, derrière même celle d’homme politique. Non sans raison, manifestement…