TRIBUNE : FAUT-IL SE PRÉPARER À UNE DEVALUATION DU FCFA ?

 

Dans cette tribune, l’économiste camerounais Dany R. Dombou apporte des éclairages sur la persistante rumeur d’une dévaluation du FCFA qui se propage au sein de opinion publique camerounaise africaines depuis quelques semaines.

Depuis quelques semaines déjà, se propage la rumeur d’une dévaluation « subtile » du FCFA. Il s’agit là d’une information qui, sur les réseaux sociaux suscite tout autant curiosité que frayeur auprès d’un public en quête d’assurances. La raison se trouve dans l’argumentation de ses défenseurs et, tient dans ceci : l’augmentation continue et soutenu des prix sur les marchés et la perte du pouvoir d’achat au Cameroun (et au sein des autres pays utilisant le FCFA) trouve son explication dans un subterfuge visant à dévaluer de manière insidieuse le FCFA.

Ce raisonnement à certains égards séduit par son style et son argumentation. En quelques mois, le prix des produits alimentaires a considérablement augmenté. Un exemple célèbre est celui de de l’huile raffinée qui, selon les défenseurs de la rumeur, est passé de 1000 FCFA à pratiquement 1800 FCFA le litre. Une augmentation des prix qui n’est pas suivi d’une augmentation des revenus. Ainsi, le ménage qui pouvait s’offrir 10 bouteilles d’huiles raffinées avec un budget de 10 000 FCFA il y a quelques mois, ne pourra s’offrir qu’environ 5 bouteilles à ces jours. Ainsi donc, les ménages camerounais perdent leur pouvoir d’achat, mais travaillent toujours autant, sinon plus. Ce pouvoir d’achat qui représente la force d’une monnaie : sa valeur. Puisque dévaluer une monnaie a pour principale conséquence la perte du pouvoir d’achat de ses détenteurs, il ait été logique de conclure que, dans les faits : le FCFA a été dévalué.

Mais, la dévaluation est une baisse de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies, décidée par l’organe chargé de sa gestion. Les Etats membres de la BEAC n’ayant pris aucune décision officielle à ce sujet, il est possible de dire techniquement qu’il n’y a pas dévaluation du FCFA. Dans une certaine mesure, et par abus, il est possible de parler de dépréciation du FCFA. Contrairement à la dévaluation, ce phénomène survient du fait du marché (des prix), bien qu’il ne concerne que les monnaies en change flottant. La perte du pouvoir d’achat des ménages s’explique donc par l’effet de l’inflation galopante depuis plusieurs mois. Une inflation qui affecte également l’Euro depuis le Covid-19 et la guerre en Ukraine.

Pour comprendre la dévaluation, il est important de faire un peu d’histoire. Le FCFA a été créé en 1948 comme monnaie commune aux colonies françaises d’Afrique. Il était doté d’une parité fixe à l’ancien Franc Français (FF). Jusqu’à janvier 1994, cette parité fixe était de 50 FCFA pour 1 FF (en moyenne un dollar US pour 280 CFA). Après la dévaluation et l’entrée de la France dans la zone Euro, cette parité est passée à 1 EUR pour 655,957 FCFA.

Cette toute première dévaluation était survenue en réponse à la crise économique et financière que traversait le Cameroun (ainsi que les autres pays de la communauté). Au Cameroun par exemple, la croissance glorieuse portée par les revenus d’exportation de produits agricoles et pétroliers avait cédé place à la crise.  Le PIB du pays avait diminué de plus de 15% entre 1987 et 1990.


Aujourd’hui, l’économie camerounaise n’est pas à ses meilleurs jours. Après la baisse des cours du pétrole en 2015, les successions de crises sécuritaires, sociales et politiques de 2016 et 2018, sont venues s’ajouter le Covid-19 et les effets pervers de la guerre en Ukraine.

Mais, la locomotive d’Afrique centrale tient les rails. Malgré la crise, le Cameroun a gardé un taux de croissance positif (0,7%). L’économie locale est de plus en plus diversifiée. Le prix du pétrole brut s’est apprécié malgré la guerre en Ukraine, et est à son plus haut depuis 2015. Et, malgré le boulet économique légué par la CAN 2021, l’inflation reste pour le moment encore en dessous du seuil communautaire exigé par la BEAC (il en est de même pour la majorité des autres pays de la zone). D’un point de vue strictement économique, difficile dans ces conditions de parler de dévaluation, même « subtile ».

Un second argument dit « géopolitique », voudrait qu’il y ait des enjeux insaisissables par le commun de la population ; des enjeux imposant aux Etats utilisant le FCFA d’honorer au service de la dette extérieure en destination de ceux à la manœuvre de dévaluation. Or, la dette extérieure se règle en devise extérieure. Puisque le FCFA est adossé à l’Euro en change fixe, rembourser une dette en Euro revient à rembourser la dette en FCFA, en valeur. Une dévaluation « subtile » n’aurait aucun effet sur le remboursement d’une dette libellée en Euro.

Cependant, la dépréciation du FCFA et de l’Euro entraîne une perte du pouvoir d’achat des détenteurs des deux monnaies. A ce jour, par exemple, face au FCFA, le dollar a atteint son cours le plus élevé depuis jamais. 1 USD = 645.592 XAF. Ceci signifie qu’il est plus coûteux aujourd’hui pour un Camerounais de rembourser une dette en dollar que par le passé. L’Euro et le FCFA étant liés, il en est de même pour les européens. 1 EUR = 1.01624 USD. Face au dollar, l’Euro vient de perdre plus de valeurs que jamais depuis plus de 10 ans. Il en est de même face à de nombreuses autres monnaies. La monnaie chinoise et russe se sont considérablement appréciées face à l’Euro. Il devient donc plutôt difficile pour les pays africains d’honorer leurs engagements auprès des autres partenaires.

Un rapport du ministère des Finances soulignait en par exemple qu’en 2019, le portefeuille de la dette publique du Cameroun est relativement diversifié avec une proportion de 76,3% de dette libellée en devise. Avec 29,4% de dette libellée en Euro. Au sein de ce portefeuille, il est possible de retrouver entre autres, les devises chinoise et américaine. Certaines sources plus récentes vont jusqu’à donner à la Chine, la détention de plus de 50% de la dette bilatérale du Cameroun.

Face à la résilience économique des pays africain durant ces dernières crises, peut-être la véritable question que doivent se poser les lanceurs de rumeurs est la suivante : La parité fixe du FCFA à l’Euro reflète-t-elle encore les réalités locales et le potentiel économique des pays de la zone franc ?

Livraison
Urban FM