Militant engagé, Gilles Térence Nzoghe révèle les aspects néfastes de la réalité dans la région des Lacs du Sud au Gabon, où l’empreinte de l’exploitation pétrolière par Maurel et Prom laisse des cicatrices profondes. À travers un récit de son enfance dans ce territoire, il peint le tableau vivant des souvenirs partagés avec sa grand-mère et des traditions ancrées dans la culture locale. Ancien membre du Conseil national de la Communication (CNC), Gilles Térence Nzoghe ne mâche pas ses mots en critiquant vertement les pratiques de Maurel et Prom. À travers ses propos, il lance un appel pressant à intervenir de toute urgence afin de corriger les injustices persistantes et d’améliorer les conditions de vie des habitants de cette région, riche en ressources mais plongée dans la misère et l’oubli.
ONAL, leur champ de pétrole au lac Ezanga, est situé à quelques kilomètres dans la savane, derrière l’école publique du village Allonhâ 1. Une école qui a formé, à partir des années soixante, les premiers diplômés du canton Lacs du Sud. Ils étaient dans l’ordre : 1961 Nzoghe Anselme, 1963 Memiaghe Joseph Aimé, 1965 Aboughe Timothée et Nzoghe Gilles Térence, 1973 Mekama Meviane Francine, qui avaient obtenu ici leurs Certificats d’Etudes Primaires Elémentaires (CEPE), en même temps que leur entrée en sixième.
Maurel et Prom, l’opérateur pétrolier le plus ladre du Gabon, occupe exactement l’espace qui abritait, il y a plus de soixante-dix ans, le village-campement de grand-mère Nyiamboghe : sœur cadette de ma grand-mère paternelle Mebwua me Koune qui était du clan Ebifa. Célèbre tradipraticienne (nganga), grand-mère Nyiamboghe et son mari avaient pour voisins des Akèlès : d’authentiques autochtones, qui chassaient, avec des fusils de calibre 12, les éléphants qui rôdaient la nuit autour de leurs champs de manioc et de banane.
C’est dans ce cadre bucolique que j’ai passé ma seconde enfance, aux côtés de ma mère qui, pour des raisons de santé, avait élu domicile pendant de très longues années chez grand-mère Nyiamboghe. En compagnie de mes petits camarades : les enfants du Chef Akèlè, papa Dissinwouin, je partais tous les matins puiser de l’eau, transportée dans des calebasses, à la rivière Koume. C’est la plus grande des nombreuses petites rivières qui entourent le champ d’ONAL ; rivières qui se jettent dans le lac Ezanga, et qui sont aujourd’hui polluées par les effluents d’une activité pétrolière déréglée, sans impact positif sur les populations.
C’est dire si je maîtrise parfaitement l’histoire immédiate de cette contrée qui regorge de richesses naturelles. Un petit morceau du territoire national que certains revendiquent depuis quelque temps comme étant leur terre ancestrale, parce qu’on y a découvert du pétrole. Des usurpateurs sans idéal de vie collective ; tant ils ont noyé l’intérêt général dans l’océan de leurs intérêts égoïstes personnels et familiaux.
Ici les vrais propriétaires terriens, descendants des premiers occupants du sol, sont ces jeunes, Akèlès et Fang, qui manifestent depuis 2005 contre Maurel et Prom qui exploite leur pétrole. En les tenant à l’écart de cet important pôle de développement qui prend source chez eux, Maurel et Prom leur échauffe la bile chaque jour un peu plus, s’exposant de ce fait à l’acte extrême que tout peuple opprimé se doit de poser un jour pour se soulager. Et personne ne dira qu’il n’était pas averti.
Qu’on ne vienne surtout pas m’accuser d’incitation à la haine, de repli identitaire ou de toutes autres inepties de ce genre. Ma mère était Guissir, une femme Mombi de Moukiba, un grand village aujourd’hui disparu, que j’ai eu la chance de visiter à l’âge de 12 ans ; dans l’actuel département de Mandji ndolou dans la Ngounié. C’est ma mère qui, la première, m’a appris à parler Fang avant le Guissir, sa langue maternelle. Ma double culture est un parfait bouclier face aux mesquineries et toutes ces choses basses. Et j’ai une haute idée de la nation.
Dénoncer des pratiques déloyales ainsi que des comportements énervants, pour alerter, est un devoir, une vertu. C’est le rôle du journaliste. C’est ma contribution pour une transition véritablement transformatrice et améliorante du sort de tous nos compatriotes qui souffrent et qui vivent pourtant autour des sites pétroliers et miniers de notre pays. De quoi se demander si nos fameux codes miniers et pétroliers sont conçus au bénéfice de notre économie. En effet, que contiennent de positif, pour notre pays, les contrats miniers et pétroliers, inaccessibles au public, que le Gabon a signé ces trente dernières années avec des partenaires à l’appétit gargantuesque?
Le comportement méprisant des dirigeants successifs de Maurel et Prom, et de leurs complices locaux, à l’égard des populations du canton Lacs du Sud, qui vivent dans la pauvreté et la misère, doit interpeller les nouveaux gouvernants du Gabon. Qu’ils voient et qu’ils regardent en face, dès aujourd’hui, cette situation d’injustice qui devient de plus en plus insupportable.
Ici, aucun signe de développement durable n’est visible quinze ans après la mise en exploitation du champ pétrolier ONAL. Aucun indice de la volonté de l’opérateur pétrolier français à contribuer de manière significative à la transformation et à l’amélioration du niveau de vie des communautés riveraines de sa zone d’exploitation. Une zone dont il se félicite chaque année d’être fier et heureux d’engranger des centaines de milliards de bénéfices, mais autour de laquelle il n’a construit ni école ni dispensaire.
Pour avoir un jour sommairement replâtré les façades des deux dernières écoles qui nous restent dans le canton, ainsi que celles des deux infirmeries qui sont encore ouvertes, puis distribuer des fournitures scolaires et des médicaments, Maurel et Prom affirme, et de façon péremptoire, à chacune de ses sorties médiatiques, qu’elle a investi beaucoup d’argent dans les domaines de la santé et de l’éducation au bénéfice des populations du canton le plus oublié du Gabon. C’est devenu son leitmotiv. Ce gros mensonge servi à la nation depuis des années ne doit pas endormir les nouvelles autorités politiques, notamment nos députés et nos sénateurs ; ceux qui siègent en ce moment comme ceux qui vont les remplacer demain. Il y a là en effet matière à diligenter des enquêtes parlementaires cruciales visant à déterminer les niveaux de pillage tolérés par le régime déchu, aux fins de renverser définitivement la tendance. Le Gabon qui a besoin d’argent, pour rembourser ses dettes et sortir du marasme, a plus que jamais intérêt à traiter désormais avec des partenaires loyaux, respectueux des droits de l’homme et de l’environnement.
L’entreprise Maurel et Prom soigne les prostates à Port Gentil avec l’argent du pétrole du Moyen-Ogooué ; pendant ce temps elle pollue les sols et les eaux du Lac Ezanga, donc de l’ensemble du département de l’Ogooué et des Lacs. Imbus de morgue, ses dirigeants n’ont jamais daigné assumer, au profit des lacustres, ce que la loi de leur pays d’origine, la loi PACTE, appelle la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Qui veut que les entreprises citoyennes contribuent aux enjeux de développement durable dans les zones où elles s’implantent. Car dans l’esprit des Blancs de Maurel et Prom, ce qui est valable pour les Français ne l’est pas pour les Gabonais. Voilà pourquoi ces gens-là ne pensent pas à faire de ces laissés pour compte des lacs du sud, confinés dans l’oubli et la pauvreté, les bénéficiaires prioritaires de leurs juteuses activités. Mais au Gabon, Maurel et Prom est-elle en réalité une entreprise citoyenne ?
En ce qui concerne précisément les emplois, les ressources humaines abondent dans le Moyen-Ogooué : ingénieurs, juristes, avocats, médecins, économistes, historiens- économistes, comptables et autres gestionnaires auxquels s’ajoute une main d’œuvre d’exécution inoccupée. Le premier Docteur Ingénieur en Pétroléochimie de notre pays est originaire du lac Ezanga : un précoce qui a obtenu d’emblée son bac D en 1970, à l’âge de 19 ans. Joseph Aimé Memiaghe me Nze pour ne pas le citer. Il n’avait que 54 ans au moment où Maurel et Prom démarrait ses activités d’exploration du pétrole derrière son village. Pourquoi n’a-t-il pas été recruté par l’opérateur pétrolier ? Autant de patriotes intelligents qui ne demandent qu’à participer au développement de leur province, ainsi qu’à la restauration en cours des institutions abimées du pays. Mais Maurel et Prom préfère recruter partout ailleurs dans le pays et, surtout, dans l’Ogooué Maritime où, pour des raisons que tout le monde ignore ici, l’entreprise pétrolière a choisi de construire son siège social, privant ainsi Lambaréné, capitale provinciale du Moyen-Ogooué, d’une opportunité de développement.
Concernant la main d’œuvre non permanente d’exécution, la seule catégorie de travailleurs que Morel et Prom recrute depuis quelque temps, via ses amis prestataires de services, les conditions de vie et de travail sont tout ce qu’il y a de plus précaires. Et ce n’est pas un hasard si Maurel et Prom les a affublés de l’appellation péjorative de « travailleurs villageois ». Après les travailleurs indigènes des compagnies concessionnaires de la coloniale, l’opérateur pétrolier d’ONAL a ses « travailleurs villageois » du néocolonialisme. Les siècles passent et les traitements humiliants des travailleurs noirs par les nouveaux colons se poursuivent.
Le cas le plus triste est celui de ces malheureuses techniciennes de surface qui sont embauchées par Ogooué Maritime Location (SARL). Cette prestation, la préférée de Maurel et Prom, est dirigée par un certain Ludovic CECONI. Un charlatan, qui se cherche dans le catering (restauration, hébergement et entretien ménager) et qui toutes les fois, se permet le luxe de retarder, de deux mois, la paie de ses travailleurs sans raison valable. Pour des femmes qui triment 12 heures de travail par jour, soit 84 heures de travail par semaine, (dont quatre heures ne sont pas prises en compte dans le calcul du salaire mensuel), attendre deux longs mois pour toucher des salaires de misère est une vraie galère. Des techniciennes de surface qui sont parfois contraintes et forcées de faire aussi la plonge, tard le soir, pour pallier l’insuffisance du personnel affecté au service de la cuisine. Pour des heures supplémentaires jamais rémunérées. Un traitement inadmissible dans un pays normal.
Tout aussi inadmissible est le préjudice subi par les équipes qui, ayant accompli leur temps normal de travail sur site, se voient contraintes de travailler encore de longues semaines durant, contre leur gré, et sans aucune compensation financière. Elles ne seront libérées qu’au retour de leurs collègues, « les To Back » qui, pendant ce temps, attendent désespérément de percevoir leurs salaires dans leurs lieux de recrutements. Et quand viendra leur tour de sortir enfin, pour jouir des 28 jours de récupération, elles seront fatalement aux prises avec les mêmes difficultés financières dues à la mauvaise gestion des salaires de monsieur Ludovic. C’est ce qu’on appelle une violation flagrante et impunie du contrat de travail par l’employeur. Résignées, les techniciennes de surface sont aussi l’objet de tracasseries journalières insupportables des petits superviseurs impolis et autres intendantes mal lunées. Assurément le site pétrolier de Maurel et Prom est un véritable cercle vicieux.
Toujours au chapitre des souffrances endurées par les agents recrutés par Ogooué Maritime Location, il faut souligner le peu de soin accordé à l’hébergement et à la restauration. Si, dans un grand site pétrolier comme ONAL, dormir à plusieurs sur des draps déchirés mais propres, dans des conteneurs aménagés à cet effet, est à la limite acceptable, on ne peut pas en dire autant de la bouffe qui est composée essentiellement de riz, de manioc et de viande bouillie ou grillée. Les agents de Ludovic CECONI sont interdits de se procurer de la nourriture ailleurs, pour ceux qui aimeraient bien, de temps en temps, varier ce régime alimentaire plutôt dur. L’interdiction touche aussi l’eau à boire fournie souvent en quantités insuffisantes par Maurel et Prom.
Selon une source proche de la direction d’Ogooué Maritime Location, la maltraitance dont sont victimes les techniciennes de surface va prochainement franchir un palier, qui prouve que prendre soin de ses employées est le cadet des soucis de monsieur Ludovic. En effet, dans les semaines à venir, seules les employées recrutées à Port-Gentil bénéficieront désormais de logements gratuits dans les conteneurs dortoirs du site ONAL. Sans aucun motif apparent et sans concertation préalable avec les intéressées, les travailleuses recrutées à Lambaréné devront libérer leurs chambres, et aller vivre à leurs frais dans les villages environnants, loin du champ de pétrole, où se déroulent toutes les activités pour lesquelles elles sont recrutées. Une discrimination qui ne dit pas son nom.
Quel autre deal cache, après celui des salaires confisqués, la décision brutale et surprenante de monsieur CECONI qui expose ainsi ses mères de famille, exerçant très loin de leurs villages d’origine, aux agressions de toutes sortes et aux maladies qui peuvent mettre leur vie en danger ? Tant il est avéré que la plupart de ces bonnes femmes, qui attendent depuis plusieurs mois leurs numéros définitifs d’assurées de la CNSS, n’ont aucune assurance maladie.
Le nouveau Ministre du Travail du Gouvernement de Transition, devrait donc prêter une oreille attentive aux complaintes récurrentes de cette main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Car restaurer les institutions passe forcément par la restauration de la dignité et des droits des travailleurs Gabonais, y compris les « villageois » de Maurel et Prom.
En tout état de cause, une relecture, voire une remise en cause partielle ou totale, des contrats léonins, de partage d’exploitation et de production du pétrole, signés au cours des trente dernières décennies, et qui manifestement livrent notre pétrole au pillage destructeur des investisseurs voyous, est souhaitable. Maintenant que le pays est dirigé par des patriotes dont les actes forts, posés au cours des trois premiers mois de la transition, donnent envie de croire que « c’est enfin notre essor vers la félicité ».
Il s’agira notamment, le moment venu, de s’assurer que des clauses existent bien dans ces contrats, qui déterminent clairement les pourcentages auxquels ont droit les populations autochtones réduites partout à l’état de mendicité. Comme il serait tout aussi intéressant d’être informés, et c’est notre droit, quant au montant annuel des impôts versés à l’Etat par ces prédateurs impénitents, qui profitent de la naïveté de nos gouvernants, et qui laissent des gosses désespérés se faire abattre sauvagement par des gendarmes. Comme ce fut le cas récemment du jeune Glen Patrick Moundéndé, qui menait seul, la lutte contre l’injustice, face à l’entreprise pétrolière Adax et ses complices locaux dans la Ngounié.
Dans la même veine, les nouvelles autorités du pays gagneraient en crédit à diligenter un jour des enquêtes approfondies sur l’accaparement des terres abritant les différents sites pétroliers du Gabon, par des politico-affairistes ivres d’impostures, et qui percevraient d’ailleurs de ces acquisitions illégales de rondelettes sommes d’argent. Car, s’il est vrai que la terre appartient à Dieu et à ses premiers occupants, il n’est pas moins vrai qu’elle appartient aussi, en dernier ressort, à l’Etat dans l’Afrique moderne actuelle. Maurel et Prom et consort le savent parfaitement ; eux qui se seraient rendus coupables de vol et de complicité de vol de nos terres ancestrales. Ils rendront des comptes un jour./.
Gilles Térence NZOGHE