Pétrole : Au Gabon, les sites de Perenco polluent gravement l’air et tuent en silence

Au Gabon, les sites d’extraction de la multinationale Perenco pratiquent le torchage, ce procédé consistant à brûler l’excédent de gaz. Malgré la régulation en vigueur, un comble alors que le Gabon importe 80% de son gaz domestique.

En plus d’être une absurdité économique pour le pays, le torchage du gaz cause l’inquiétude et le désarroi des habitants des communautés situées à proximité des sites de Perenco.

Pourtant, en 2015 et à l’initiative de la Banque mondiale, le Gabon avait signé le traité « Zero Flaring Routine » (zéro torchage de routine) aux côtés de dizaines d’États, d’institutions publiques et d’opérateurs financiers, engagés à mettre fin aux situations de torchage injustifié dans les années à venir. Une ambition renouvelée en 2022. Mais fort de ses relations avec le premier cercle d’Ali Bongo Ondimba, Perenco n’a jamais été contraint à stopper ces pratiques qui mettent en danger la vie de nombreux Gabonais.

Des flammes de jour comme de nuit depuis dix ans

L’activiste franco-gabonais Bernard Christian Rekoula, questionné par Mediapart sur sa première visite des sites Perenco sur les côtes gabonaises, courant 2020, reste saisi par son souvenir d’Etimboué, sur le littoral au sud de Port-Gentil. « L’air proche des têtes de puits de pétrole et des torchères était suffocant. Quand nous avons découvert la zone d’Etimboué où opère Perenco, il y avait des villages entiers quasiment irrespirables à cause de fortes émanations de gaz », confie le lanceur d’alerte, aujourd’hui réfugié en France.

Bernard Christian Rekoula parle d’un torchage « continu », un témoignage similaire à celui de Pierre Philippe Akendengué, un vétéran du groupe Perenco, pour lequel il a travaillé dix-sept ans avant d’entamer un parcours politique comme député de la région, en 2018. « À Oba, on fait du torchage de gaz. À Batanga, sur la plus grande station Perenco du Gabon, on en fait aussi. C’est régulier, non-stop, même en mer », souligne l’ancien élu, retourné à la vie civile après le coup d’État du 30 août dernier. « Les villages empestent le gaz », poursuit-il, décrivant la pollution ininterrompue des torchères de Perenco, de jour comme de nuit.

Selon les données de l’ONG américaine Skytruth et analysées par Environmental Investigative Forum (EIF), consortium international d’enquête environnementale. EIF a pu évaluer que le torchage de Perenco a entraîné l’émission d’au moins 33,8 millions de tonnes de CO2 au Gabon et au Cameroun sur une période de dix ans. À quel prix pour la faune, la flore et les populations locales ?

Omerta sur les risques environnementaux et sanitaires

Le torchage est pourtant reconnu comme une cause d’acidification des milieux marins et terrestres pouvant nuire aux écosystèmes qui s’y trouvent, comme l’ont démontré de nombreuses études scientifiques menées au Nigeria.

Au Gabon, près de dix aires protégées sont également concernées, selon EIF. Au total, 74 sites naturels sont occupés par Perenco à travers le monde, comme le révélait Mediapart dans sa précédente enquête sur le groupe. Sur la question sanitaire, là encore, c’est l’omerta pour les populations qui vivent à quelques kilomètres – parfois à quelques centaines de mètres – des torchères dans ces deux pays. De jour comme de nuit, hommes, femmes et enfants inhalent une atmosphère chargée en composants dont ils ignorent les risques sur leur santé.

Babiene Sona, avocat spécialiste des normes socio-environnementales de l’industrie pétrolière, est catégorique : « Le torchage du gaz n’est pas acceptable, il contribue à la pollution dans les communautés où le pétrole est exploité. » Il mentionne aussi des « maladies de la peau » liées à ce procédé industriel. Maladies respiratoires et hématologiques, cancers, mais aussi problèmes cardiaques et morts prématurées figurent parmi les risques sanitaires associés au torchage, selon la communauté scientifique internationale. Une étude publiée en 2022 démontre par ailleurs les effets néfastes du torchage sur la santé humaine à partir d’une proximité de 60 km d’une torchère.

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