Jeune Afrique, le « journal intime » des Bongo, entretenu comme le prétendent certains à coup de millions, on parle de 650 millions par an, nous entraîne dans les coulisses de la chute de l’ancienne première dame du Gabon.
Elle a imposé des réformes, inspiré des modifications de lois, fait et défait des carrières… Première dame du Gabon, elle a fini par se prendre pour la deuxième tête de l’exécutif. La voilà désormais en détention, en attente de son procès. Récit d’une ascension, et d’une chute.
Le 11 octobre dernier, au cours d’une audience au parquet de Libreville, Sylvia Bongo Ondimba, l’ex-première dame âgée de 60 ans, a exigé d’être présentée sous ses nom et prénoms d’origine : Sylvie Aimée Marie Valentin. Cela n’a pas manqué d’étonner les observateurs de la scène publique gabonaise. Bien malin qui saurait en effet dire pourquoi l’histoire de sa vie a été jalonnée de tant de changements de noms. Et quels impacts ceux-ci ont-ils eu.
La future première dame a d’abord troqué son prénom de naissance pour Nejma, à la faveur de sa rencontre avec Ali Bongo, converti à l’islam comme son père Omar des années plus tôt. Elle a ensuite choisi Sylvia, avant de rejoindre officiellement par mariage le clan Bongo en 2000. Cette famille d’adoption étant elle-même engluée dans ses propres pérégrinations identitaires, elle finira par ajouter à son nom un dernier « Ondimba », conformément aux désirs de son beau-père, le patriarche Albert-Bernard, devenu lui-même Omar en 1973 afin de séduire l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.
Les psychologues rivalisent de théories invérifiables sur la personnalité profonde de ceux qui se livrent à d’incessants changements d’identité. Cela va d’un besoin de rupture avec le passé à la volonté de se conformer aux codes d’un nouveau milieu social, en passant par l’amorce d’une démarche libératrice… Sans doute y a-t-il un peu de tout cela dans la personnalité complexe de l’ex-première dame gabonaise.
Premières années difficiles
La dernière image que l’on retient de Sylvie Aimée Marie Valentin, alias Sylvia Bongo Ondimba, est celle d’une silhouette frêle s’engouffrant dans une voiture, le visage dissimulé derrière une capuche, conduite sous bonne garde vers la prison de Libreville où elle est écrouée depuis le 12 octobre, inculpée pour faux, usage de faux et blanchiment de capitaux. La scène surréaliste tranche avec le raffinement et l’élégance de sa tenue lors de l’une de ses dernières apparitions publiques, au couronnement du roi Charles III d’Angleterre le 6 mai 2023, où elle s’est affichée rayonnante au milieu des grands de ce monde.
Née à Paris en 1963, ses parents s’expatrient à Douala alors qu’elle n’a que quelques semaines. Elle passe une partie de son enfance entre le Cameroun et la Tunisie avant que son père, Édouard Valentin, ne pose ses valises à Libreville. L’entrepreneur, décédé en janvier 2019, est un homme dur et sa fille ne trouve pas forcément grâce à ses yeux. Un assureur, qui fut proche de ce père, se souvient d’un « champion de la blague raciste » qui se disait déçu par les notes de sa fille, scolarisée au très sélect lycée Immaculée Conception de Libreville.
Sa belle-mère, brillante universitaire qui devint conseillère d’Omar Bongo, n’en pense pas moins, même si la jeune Sylvia poursuit tout de même des études de gestion en France. De retour au Gabon, elle se destine à l’immobilier mais, surtout, fait la rencontre à la fin des années 1980 d’Ali – Alain-Bernard de naissance – Bongo, le fils aîné du président, qui habite alors chez son père dans un appartement du palais du Bord de mer. Sous le regard d’Omar Bongo, qui est encore l’inébranlable baobab de l’Afrique centrale francophone, le couple vit ses premières années partagées.
La période n’est pas des plus faciles. Lorsque qu’en mars 1992 vient au monde le premier fils de cette union, Noureddin Bongo Valentin, Ali en est réduit à manger son pain noir à l’Assemblée nationale. Il a en effet été débarqué un an plus tôt du ministère des Affaires étrangères qu’il dirigeait au nom d’une loi secrètement soutenue par son propre père, le chef de l’État. Selon ce texte, ne pouvait être nommé ministre que des Gabonais âgés d’au moins 35 ans. Ali, né en février 1959, est donc sous la limite.
Est-ce pour le former à la dure ? Omar Bongo ne ménage pas son fils aîné, pas assez travailleur à son goût. Au point qu’Ali peine à subvenir aux besoins de sa compagne, Sylvia, et de son enfant. « La pauvre », raille-t-on au sein de la communauté française de Libreville, « il l’a abandonnée ». L’intéressée ne le supporte pas et menace de contre-attaquer par une action en pension alimentaire devant le tribunal de Libreville. Nous sommes en 1997 et le couple, qui n’est pas encore marié, bat sérieusement de l’aile.
Un remaniement et un mariage
Pour se donner toutes les chances de l’emporter, Sylvia choisit Paulette Oyane Ondo, une avocate pugnace et féministe. Une lettre de mise en demeure suffit pour faire plier Ali, qui ne veut pas de procès – et surtout pas de publicité. La future première dame obtient une pension alimentaire. Les choses s’arrangent surtout au niveau politique. En 1999, Omar Bongo Ondimba commence à prêter une oreille attentive à certains visiteurs du soir du palais du Bord de mer, qui le supplient de réintégrer Ali au gouvernement.
Le chef de l’État n’a qu’une exigence : « Je veux qu’il déménage de chez moi dès ce soir », réclame-t-il à l’un des soutiens de son fils, André Mba Obame. Ce dernier passe le message et le fils aîné du président s’exécute. Le remaniement est annoncé : revoilà Ali au gouvernement, à la tête du ministère de la Défense. L’horizon s’éclaircit enfin et le couple formé avec Sylvia se rabiboche. Ali demande sa compagne en mariage et, en 2000, l’épouse.
Déjà parrain de Nourredine, André Mba Obame est aussi le témoin de cette union. Mais ce n’est pas encore la vie de château. Bien que ministre de la Défense, Ali vit ainsi encore dans l’ombre de sa sœur Pascaline, toute-puissante directrice de cabinet de leur président de père. « Madame sœur » a la confiance du patriarche, mène grand train, a la haute main sur les régies financières du pays, voyage dans un Falcon de la flotte présidentielle… Au palais du Bord de mer, c’est Édith Lucie Bongo Sassou, la première dame, qui s’affiche en vedette et voit défiler, à l’invitation du président, des joailliers du monde entier.
Ali et Sylvia, eux, se contentent encore de peu. Lui tente de parfaire ses réseaux dans les milieux militaires et évolue à l’écart. Mais en 2009, Omar Bongo Ondimba décède dans une clinique barcelonaise. Ali est choisi, non sans mal, par l’oligarchie du Parti démocratique gabonais (PDG). Malgré l’opposition de certains membres de son propre camp, il finit par s’imposer dans la succession. Pour Sylvia, un nouveau chapitre s’ouvre.
L’heure de la revanche
L’heure de la revanche a sonné. Le couple s’installe au palais. Sylvia veut réaménager les appartements privés de fond en comble. Elle choisit le cinquième étage, fait casser la salle à manger monumentale érigée par Omar Bongo Ondimba. Alors que le personnel jase, le président tente de réfréner les ardeurs de sa femme. En vain. Lui-même ne pense d’ailleurs qu’à installer son studio de musique au quatrième et à occuper l’immense dressing de son prédécesseur, que sa garde-robe de taille modeste ne parvient pas à remplir. Le premier mandat d’Ali Bongo Ondimba se déroule sans histoires.
L’influence de la première dame reste limitée, à cause de la place prépondérante qu’occupe le premier cercle du président et le directeur de cabinet, Maixent Accrombessi. Les collaborateurs l’évitent ou, parfois, la gèrent comme une « contrainte ». Ils n’hésitent pas à lui résister quand elle empiète sur les affaires de l’État. Et cela sans encourir la moindre sanction. Un jour, elle demande à un aide de camp de lui donner le téléphone d’Ali, lequel refusait de prendre un correspondant insistant. Fin de non recevoir. « Non madame, je ne peux pas vous confier les téléphones du président de la République », lui répond l’officier.
Ali et le péché originel : la chute des Bongo, écrite depuis 2009 ?
Le Palais n’est toutefois plus ce qu’il était sous Omar Bongo Ondimba. La nouvelle maîtresse des lieux bannit du faste présidentiel les groupes de danseuses traditionnelles fondés par Patience Dabany, la mère du président. « Trop folkloriques, voire villageois », grimace-t-elle. Elle préfère embaucher des « Butler », (majordomes britanniques), dépense des fortunes en fleurs et nourrit son époux de produits alimentaires importés d’Europe. Parmi ces mets raffinés et coûteux, de délicieux et copieux crabes farcis. Et qu’importe si les crustacés pullulent dans l’Estuaire du Komo, à quelques encablures du palais.
Sylvia surveille d’une main de fer le régime alimentaire du bon vivant qu’est son mari et garde l’œil sur son hygiène de vie. Ce qui n’a qu’une efficacité toute relative : quand elle est en déplacement, le président ne se prive pas de profiter de soirées prolongées sur la terrasse, discutant football, politique ou diplomatie entre cocktails et cigares.
Valse des employés
Attiré par la gestion de la chose publique, Sylvia se sent-elle à l’étroit dans son rôle de première dame ? Elle qui s’imaginerait volontiers en co-présidente du pays multiplie les impairs protocolaires. Un jour, la présidente de la Cour constitutionnelle, Marie Madeleine Mborantsuo, intervient même pour lui rappeler que les fauteuils arborant les armoiries présidentielles ne sont réservés qu’au seul élu du peuple et non à son épouse, dépourvue de statut constitutionnel. La première dame obtempère, de mauvaise grâce. Sylvia va se concentrer sur sa fondation, elle aussi dirigée d’une main de fer.
Ali et ses directeurs de cabinet : quand l’héritier Bongo a perdu piedCeux qui y travaillent expérimentent ses colères et elle y fait valser les directeurs de cabinet. Le personnel virevolte aussi dans les résidences. Ainsi de cet hôtelier français débauché d’un établissement de Douala pour s’occuper de l’intendance du palais du Bord de mer avant d’être licencié quelques semaines plus tard à la suite d’un malentendu : pour remplacer le four de la résidence secondaire du couple à la Pointe Denis, l’ingénu s’était enquis de la destination de la facture, hésitant benoîtement entre public ou privé… Non contente de le renvoyer, Sylvia exigea une large publicité pour la sanction.
Le tournant de 2016
La France, son pays d’origine, la découvre rayonnante sur les marches de l’Élysée à l’occasion d’une visite d’État organisée sous le président François Hollande. C’est une autre revanche pour cette Française qui n’a vécu en métropole que pendant son cursus universitaire. Elle trouve même à Paris un nouveau centre d’intérêt. Rue de l’Université, Ali a réalisé en 2010 l’achat du palais Pozzo di Borgo, une lubie à 100 millions d’euros à la charge du contribuable gabonais. « Cette propriété appartient à l’État », clame l’entourage présidentiel même si, selon les papiers, le montage comportant différentes sociétés civiles immobilières éveille un doute légitime.
Le Quai d’Orsay ne se laisse pas impressionner et refuse d’accorder à l’imposante demeure le statut diplomatique et l’immunité qui va avec. C’est un coup dur. Quelques mois plus tard, le Pozzo di Borgo est brièvement saisi par Guido Santullo, un magnat italo-suisse du BTP, détenteur d’une créance sur l’État. Mais le palais reste finalement entre les mains de ses propriétaires et Sylvia décide de le réaménager à grands frais. Elle embauche le cabinet parisien d’architecture d’intérieur et de design Pinto pour tout refaire à son goût.
La nouvelle se répand dans le petit milieu des antiquaires et du marché parisien de l’art. On se bouscule pour placer des pièces. « Tous les vendeurs savaient que Sylvia payait rubis sur l’ongle », explique un connaisseur. Les dépenses ne tardent pas à exploser. Et avec elles les rumeurs sur le goût immodéré du luxe de la première dame. Arrive l’élection présidentielle de 2016. Foudroyé par un AVC, Maixent Accrombessi est cloué sur un lit d’hôpital. Le système se dérègle, les démissions des cadres du PDG s’enchainent. Ali Bongo Ondimba est déclaré gagnant face à Jean Ping mais la révolte éclate, tandis que les ministres sont aux abris, téléphone coupé. « Tu vois ? Tous t’ont lâché !» assure Sylvia à son époux.
Madame la présidente
La contestation électorale finit par se calmer. Mais, privé de son principal collaborateur, Ali Bongo Ondimba se retrouve en prise directe avec la réalité. Esseulé, il décide de n’accorder sa confiance qu’à un nombre de plus en plus restreint de personnes. Au premier rang desquelles : Sylvia, qui favorise l’ascension de Brice Laccruche Alihanga (BLA), nommé directeur de cabinet du chef de l’État en août 2017. Le couple ne file pourtant pas forcément le parfait amour. Une rumeur insistance fait même état du fait que, en octobre 2018, Ali Bongo Ondimba aurait fait part à son épouse de son envie de divorcer.
Quelques jours plus tard, alors que Sylvia n’entend pas accepter la séparation, le chef de l’État s’effondre à la suite d’un AVC, au cours d’un séjour à Riyad, en Arabie saoudite. La première dame et son allié à la direction du cabinet s’activent aussitôt pour prendre en main les rênes du pouvoir. Contestée durant les premières semaines de convalescence de son mari – elle échouera à l’envoyer en convalescence à Londres et se verra imposer le choix de Rabat -, Sylvia finit par s’imposer.
Elle régule les accès au président puis fait place nette. L’un après l’autre, les partisans de la convalescence marocaine et détracteurs de la solution londonienne sont évincés. Le cousin du président, Steed Rey, le fidèle chef de la sécurité coréen, Monsieur Park, les aides de camps… Puis c’est au Premier ministre Emmanuel Issoze Ngondet de partir. Plusieurs ministres sont aussi remerciés pour avoir osé évoquer la vacance à la tête de l’État ou résister au directeur de cabinet Brice Laccruche Alihanga, qui gouverne main dans la main avec elle, avant d’être écarté.
Ali et l’élection de trop : les dernières heures de l’empire Bongo
En décembre 2019, BLA est arrêté, accusé de détournements de fonds publics et sacrifié par son ancienne protectrice, sans doute pour avoir montré trop d’ambition politique. Noureddin Bongo Valentin est alors nommé coordinateur général des Affaires présidentielles et s’entoure d’une jeune garde surnommée la « Young team ». Le système Sylvia – que beaucoup diront dédié à son fils – est en place. Tandis qu’on l’accuse d’accaparer le pouvoir au détriment de son époux, la première dame « gouverne » au travers de ses relais.
Très active sur les sujets de société, en particulier à travers sa fondation, elle n’hésite pas à faire modifier le code civil gabonais dans le but de promouvoir l’égalité entre les sexes, en dépouillant l’époux de plusieurs prérogatives que lui conférait l’ancien texte. Elle intervient aussi pour empêcher la pénalisation de l’homosexualité. Deux sénateurs ont en effet subrepticement glissé – après adoption ! – lors d’une réforme du code pénal un alinéa incriminant les rapports sexuels entre personnes de même sexe. La supercherie étant passée inaperçue, la loi a été promulguée.
Ulcérée, Sylvia compose alors le numéro du Premier ministre, Julien Nkoghe Bekale, tendant le téléphone au président, lequel convoque son chef du gouvernement. « Il est hors de question de pénaliser l’homosexualité au Gabon », tonne-t-elle. Le Premier ministre sollicite le président du regard, ce dernier regarde ses chaussures. L’alinéa saute, et la brève pénalisation de l’homosexualité au Gabon s’achève. L’influence de la première dame ne semble alors plus avoir de limites.
Le temps des procès
Est-elle allée trop loin, grisée par un pouvoir dont Henry Kissinger disait qu’il était « l’aphrodisiaque suprême » ? Le destin de Sylvia Bongo Ondimba a de nouveau basculé le 30 août dernier, quand le général Brice Clotaire Oligui Nguema a finalement évincé Ali Bongo Ondimba. L’ancien aide de camp d’Omar Bongo Ondimba ne cesse, depuis, de justifier son putsch en partie en rapportant les humiliations subies par lui-même et ses hommes auprès de l’ancienne première dame. L’un de ses hommes n’a-t-il pas été chassé de la résidence présidentielle pour avoir apporter à la maîtresse des lieux une voiture qui ne lui plaisait plus ?
Alors que le président déchu est laissé libre après quelques jours d’enfermement, l’intrépide première dame est placée en résidence surveillée par les militaires dès les premières heures du coup d’État. Puis, quelques semaines plus tard, elle est admise en détention à la prison centrale de Libreville. Inculpée depuis pour faux, usage de faux et blanchiment de capitaux, la voilà devenue le symbole du régime déchu et deux de ses avocats, François Zimeray et Jessica Finelle, ont déposé plainte en France contre une détention jugée arbitraire.
Sylvia Bongo Ondimba pourrait faire face à la justice – tout comme son fils Noureddin, lui aussi emprisonné – dans un procès très attendu. Sylvie Aimée Marie Valentin se rêvait en Eleanor Roosevelt, mettant en avant ses ambitions réformistes et progressistes. Les Gabonais – peut-être en partie injustes, peut-être exagérément rancuniers – ne se souviennent pour le moment d’elle qu’en Evita Peron ou en Imelda Marcos, pour ses abus d’autorité et son impressionnante collection d’accessoires de mode. Tout pouvoir excessif meurt par son excès même, disait le dramaturge.